Maire-info
Le quotidien d’information des élus locaux

Édition du lundi 19 décembre 2016
Numérique

Mutualisation des installations de téléphonie : bras de fer entre les opérateurs et le Parlement

La réaction n’a pas tardé : à peine le projet de loi Montagne adopté par le Sénat, avec l’ajout d’un amendement prévoyant d’obliger les opérateurs à mutualiser leurs installations, ceux-ci ont publié, dans le Journal du dimanche, une tribune au vitriol pour dénoncer cette décision.
Que dit l’amendement qui fâche ? Il ajoute un nouvel article au texte, autorisant l’autorité de régulation (l’Arcep) à obliger les opérateurs à partager leurs installations. L’Arcep pourrait « demander la mise en œuvre d’un partage des réseaux », superviser la rédaction d’une « convention de partage », y intervenir directement, et veiller à sa mise en œuvre effective. Autrement dit, il deviendrait possible, lorsqu’un opérateur dispose d’une antenne dans une zone non couverte par les autres opérateurs, de l’obliger à ouvrir cet équipement à ses concurrents. L’article adopté ouvre également la possibilité de « sanctions »  pour les opérateurs qui refuseraient de jouer le jeu. Élément important : l’amendement adopté ne mentionne nulle part que ces dispositions ne s’appliqueraient qu’aux zones de montagne. Elles pourraient donc a priori s’appliquer tout aussi bien aux zones grises des territoires ruraux.
Quoi que disent les opérateurs, l’ajout de cet amendement n’a rien de surprenant, il était même clairement annoncé depuis deux mois (lire Maire info du 14 octobre). On se rappelle en effet que lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, un tel dispositif avait déjà été envisagé – nombre de députés s’étant alors montrés particulièrement agacés par le refus des opérateurs de s’implanter dans des zones peu rentables. L’amendement avait alors été rejeté, à la demande du ministre de l’Aménagement du territoire, Jean-Michel Baylet, qui avait demandé, en quelque sorte, un dernier délai de grâce pour les opérateurs sur le sujet de la « mutualisation forcée » : le ministre avait alors affirmé que s’il ne constatait pas d’ici la discussion au Sénat « de véritable évolution, de véritable volonté, de bonne foi de la part des opérateurs », il serait « prêt à aller plus loin ». Marie-Noëlle Battistel, co-rapporteure du texte à l’Assemblée nationale, disait la même chose : si d’ici la discussion au Sénat « aucune solution n’est trouvée, aucune assurance n’est donnée, l’amendement en faveur de la mutualisation sera proposé et vraisemblablement adopté ».
Deux mois plus tard, il faut croire « qu’aucune assurance n’a été donnée ». C’est d’ailleurs ce qu’a dit le ministre lui-même devant le Sénat, le 13 décembre : « Après le débat à l’Assemblée nationale, (les opérateurs) se sont engagés à nous faire des propositions. Mais elles ne nous sont jamais parvenues. Nous avions attendu que les opérateurs réagissent. Force est de constater qu’ils n’ont rien fait ».
Des sénateurs de toutes tendances se sont ensuite exprimés pour aller dans le même sens et expliquer pourquoi ils voteraient cet amendement, certains disant, une fois de plus, leur colère face au manque d’avancées dans ce dossier. Le sénateur de la Somme Daniel Dubois a par exemple raconté que « de nombreux maires de la Somme sont obligés de prendre leur voiture pour téléphoner du haut de la première colline venue », jugeant cette situation « ubuesque ». Pour Gérard Roche, de la Haute-Loire, « rien ne fonctionne »  dans son département, « il y a toujours autant de mécontentement, et nous sommes très amers ». En Aveyron, selon le sénateur Jean-Claude Luche, « c’est une catastrophe, nos administrés sont révoltés et ils en veulent aux élus, alors que nous n’avons aucun moyen d’agir ».
Suite à ce débat, l’amendement a été adopté à une très forte majorité.
Cela ne veut pas dire qu’il sera forcément conservé dans la loi définitive. Le texte doit maintenant faire l’objet, aujourd’hui à 16 heures, d’une commission mixte paritaire, chargée de trouver un compromis entre le texte de l’Assemblée et celui du Sénat. Le dispositif de mutualisation forcée sera-t-il, à cette occasion, retiré du texte ? C’est en tout cas ce qu’espèrent les trois PDG d’Orange, SFR et Bouygues Télécom qui se sont exprimés hier dans le JDD. « Nous n’avons guère l’habitude d’interpeller les pouvoirs publics, encore moins par voie de presse. Si nous le faisons aujourd’hui, c’est que nous sommes très préoccupés par le débat parlementaire sur la couverture numérique du territoire », écrivent les dirigeants. « Au législateur, nous voulons dire avec respect et franchise que vouloir décider par la loi, à la place des opérateurs, les modalités selon lesquelles ils devront investir et construire leurs réseaux mobiles dans des parties entières du territoire, en les contraignant à adopter certaines formes d’organisation et de mutualisation de leurs installations, n’aura pas l’effet attendu. » 
Ce coup de colère des opérateurs aura-t-il l’effet escompté ? Pas sûr. Lorsque l’on se rappelle du ton employé par les députés en octobre dernier, et que l’on constate la colère affichée par les sénateurs la semaine dernière, on se dit qu’il est bien possible que la mesure soit définitivement adoptée, sauf coup de théâtre de dernière minute.
F.L.



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